Le monde d’après, pâle copie du monde d’avant

Illustration: Pxhere

11 mai 2020. Après deux mois à fantasmer un « monde d’après l’épidémie », le confinement est levé. Il est temps d’entrer dans ce monde nouveau qui nous est promis. Révolutionnaire, consciencieux, où la démocratie et l’écologie sont au cœur des valeurs communes. Un monde où le sempiternel égoïsme à la française s’efface miraculeusement au profit de la solidarité. Une conception bien naïve d’un monde qui n’est en réalité qu’une pâle copie de celui que l’on a toujours connu.

L’isolement et l’obligation de « faire avec » le confinement et le virus ont été perçus comme une opportunité donnée à l’humanité de se rattraper. La crise sanitaire a eu pour conséquence une diminution extrême des émissions mondiales de CO2, enregistrant ainsi une baisse de 9% par rapport à l’année 2019. On a pu observer la nature reprendre temporairement ses droits, les animaux réinvestir leur environnement. De nombreuses personnes se sont mobilisées pour aider le personnel soignant : cagnottes, dons de matériel, applaudissements quotidiens au balcon… Une pandémie qui confine la moitié de la population mondiale et tue plus de 300 000 personnes, ça met une bonne claque. Pas étonnant que l’espoir d’un « monde d’après » émerge face à toute cette bonne volonté. 

L’une des premières évocations de ce monde d’après apparaît lorsque Le Parisien dévoile sa Une du dimanche 5 avril 2020. Le climatologue Jean Jouzel, le médecin Axel Khan, le politologue Yascha Mounk et le commissaire européen Thierry Breton sont tous les quatre invités à penser ce monde d’après. Un monde où, visiblement, les femmes, les jeunes et les personnes racisées sont ignorés. Quelques semaines plus tard, Christine Kelly invite Eric Zemmour et trois de ses comparses masculins pour discuter du « Féminisme au temps du Coronavirus » sur le plateau de CNEWS. Un monde où la surreprésentation des hommes privilégiés persiste. Un monde construit et dirigé par les mêmes hommes, blancs et ridés. Comme le monde d’avant, avec des masques et du gel hydro alcoolique. 

Bas les masques

Les masques, donc. L’occasion rêvée de nous vendre cette utopie où tous les Français sont égaux face à l’épidémie. Raté. Aujourd’hui obligatoire dans les transports en commun et fortement conseillé partout ailleurs, l’idée d’une gratuité des masques ne semble avoir effleuré l’esprit de personne au sein du gouvernement. Un prix des masques chirurgicaux plafonné à 95 centimes l’unité, soit dix fois plus élevé que le prix du monde d’avant. Une disparité conséquente quand on pense aux personnes précaires et aux familles nombreuses, forcées de conserver les mêmes masques au-delà des heures prescrites pour faire des économies. La septième puissance mondiale condamnée à recycler ses vieux t-shirts pour fabriquer des masques en tissu. 

En mai, fais ce qu’il te plaît

Inutile, bien sûr, de s’en remettre à la responsabilité individuelle. Ce déconfinement révèle des images aussi lamentables qu’irréalistes. Le canal Saint-Martin évacué par les forces de l’ordre. Des clients qui refusent le port du masque dans les commerces. Plus de 950 amendes pour manquement à la règle interdisant les déplacements à plus de cent kilomètres du domicile. Un rassemblement de plus de 300 personnes en soutien au personnel soignant devant le Centre Hospitalier Universitaire de Nantes. Plusieurs plages bretonnes de nouveau fermées pour non-respect de la distanciation sociale et autres règles sanitaires. Le jour d’après, c’est le même jour qu’hier. Avec un peu plus de files d’attente, et des masques usagés au sol à la place des mégots. 

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