Coline Charpentier a 33 ans et est professeure d’histoire et géographie dans un collège de Saint-Denis. Il y a deux ans, elle crée le compte Instagram T’as pensé à ? qui compte aujourd’hui plus de 100 000 abonnés. Féministe militante, elle y livre un combat contre la charge mentale. C’est une réflexion qui lui est venue après l’arrivée de son premier enfant, « entre un café et un biberon », explique-t-elle. En peu de temps, elle reçoit des milliers de témoignages de femmes qui souffrent de cette pression. Le 8 janvier 2020 paraît son livre T’as pensé à… ? Guide d’autodéfense sur la charge mentale, dans lequel elle tente de renouer le dialogue dans les couples qui en souffrent. Entretien avec l’autrice.
Qu’est-ce que la charge mentale ?
Coline Charpentier – « La charge mentale, ce n’est pas seulement faire, mais planifier, organiser les besoins d’une famille. Passer l’aspirateur est une tâche domestique mais il faut penser à le faire quand les enfants ne sont pas là. À l’origine, la définition de charge mentale touche tout le monde car elle est neutre et sociologique. Cependant, les études montrent que la charge mentale est principalement le quotidien des femmes dans des couples hétérosexuels. Être responsable de sa contraception, c’est de la charge mentale. Tu contrôles ta fécondité pour que ton foyer soit stable. La charge mentale concerne principalement les couples qui vivent ensemble, mais la femme qui s’occupe toujours d’organiser les sorties, les week-ends de son couple… C’est déjà de la charge mentale. Devoir penser sans arrêt, s’occuper de tout. »
Pourquoi les femmes sont-elles les principales victimes ?
Coline Charpentier – « Le premier facteur est l’éducation. On élève les petites filles avec des jeux autour du ménage, de la cuisine, des enfants. Il y a aussi tous les modèles véhiculés par les médias ou même par l’art : littérature, cinéma, publicités… On y voit toujours des femmes au foyer. Oui, ça commence à bouger, mais on n’est pas sortis des ronces. Les rôles sont toujours genrés. Il y a encore trois jours, j’ai acheté un livre jeunesse à mon fils. Les modèles sociaux sont toujours les mêmes ! Maman fait tout à la maison, et si papa est gentil, il passe l’aspirateur. Cela modèle des femmes qui sont persuadées que pour faire bien, il faut toujours répondre aux besoins de sa famille, les gérer, s’en occuper en permanence. Je n’ai rien contre le modèle de la mère au foyer, mais on ne nous propose rien d’autre. On ne voit pas de parents fêtards ! Faire des enfants, c’est toujours très sérieux. On ne voit pas de parents aux cheveux roses, de parents qui ont adopté ou qui ont eu un parcours difficile. Il y a deux modèles de mère : celle qui est impeccable, et celle qui est débordée. »
Comment faire changer les choses ?
Coline Charpentier – « Il faut prévenir que c’est l’arrivée du premier enfant qui fait basculer un couple hétérosexuel dans la charge mentale. Pourquoi pas des cours de préparation à la naissance ? Dispensés par des associations bien sûr, car les sages-femmes sont déjà trop débordées. Il faut vraiment réfléchir à cette question. Il faudrait révolutionner le travail, aussi. Chez les femmes, il y a une injonction contradictoire entre ‘Aie une super carrière’ et ‘Aie des enfants’. Cela va sans dire que le congé paternité doit être réformé. Je pense que l’éducation nationale devrait proposer plus de modèles parentaux. Des familles monoparentales. Homoparentales aussi. Ces familles existent, il faut les montrer. »