Architecture de la dalle des Olympiades, 13ème arrondissement de Paris. © Thierry Bézecourt
Michel Holley est un architecte qui a joué un rôle déterminant dans l’organisation urbaine et la rénovation de Paris après-guerre. En 1965, il présente le projet de construire le quartier des Olympiades sur la Gare des Gobelins, gare de charbon dont la SNCF n’avait alors plus l’usage. L’ancien architecte de 95 ans désigne ce chantier comme l’aboutissement de sa carrière. Retour sur « l’homme de la dalle » et l’avènement de l’urbanisme vertical.
Bon dessinateur, Michel Holley arrive à l’école des Beaux-Arts avec l’ambition de devenir architecte. Il y entre en 1945, tout de suite après la Libération. « Le but de ma vie était de faire le tour de toutes les connaissances possibles pour en tirer un résultat tangible, unique, artistique, décisif. C’est ce que j’avais déterminé à treize ans, dans un article écrit pour le journal du collège. Et c’est ce que j’ai fait » confie-t-il. Il vit à une époque où après avoir gagné la guerre, il fallait reconstruire la France. Les dix premières années, on reconstitue le pays à l’identique, sans se poser de question. La génération de Michel Holley forge sa connaissance non pas à l’école des Beaux-Arts, mais à travers l’architecture internationale. On compte une foule d’étudiants d’autres pays : de jeunes architectes américains, russes, italiens, suédois, hollandais… qui apportent chacun la connaissance de ce qui se fait de moderne chez eux. Il épouse une peintre qui l’aide à arriver dans une expression de l’architecture au travers de l’art abstrait. Pour valider son diplôme à l’École des Beaux-Arts, Michel Holley présente la maquette de la Caisse d’Allocations Familiales de la rue Viala dans le quinzième arrondissement à Paris dont son patron, Raymond Lopez, a eu la commande. Cette maquette lui vaut un prix, et le bâtiment dont la structure est entièrement revêtue de plastique est classé monument historique. Plus tard, il participe au premier concours industrialisé de Strasbourg qui lui permet de connaître des architectes et des ingénieurs avec qui il commence à concevoir, à aller sur le chantier. Il ne gagne pas le concours mais il remporte un prix qui l’envoie aux États-Unis où il fait la connaissance des plus grands architectes de l’époque : Wright, Mies van der Rohe, Gropius… « Je suis tombé dans la marmite » plaisante-t-il. Il revient d’Amérique enthousiaste, avec une synthèse de conception : on ne doit plus seulement concevoir des habitations mais des ensembles de fonctions. Son but est désormais de construire de la ville certes, mais avec des bâtiments qui comporteraient toutes les fonctions nécessaires aux habitants : c’est une conception globale qui donne naissance à l’urbanisme vertical.
« La façade aléatoire pour aider les enfants à rentrer chez eux »
Coup de chance : Lopez connait le maire de Paris de l’époque, Bernard Lafay. À l’approche des élections municipales, ce dernier souhaitant être réélu leur demande ce qu’ils peuvent lui proposer pour favoriser sa reconduction. En ce temps, tout le monde se plaint : Paris est trop vieux et trop peu fonctionnel. Michel Holley propose alors un croquis qui organisera l’urbanisme parisien de 1955 à 1975 où il détermine des zones de rénovation. La partie historique et bien construite de la capitale ne bougera pas, mais le reste sera détruit, principalement dans les arrondissements périphériques.
Après la guerre, Berlin est rasé. Les Russes y ont fait construire la Stalinallee. Michel Holley décrit « un magnifique alignement de bâtiments hauts de dix à douze étages, très larges et bien soignés ». En 1953, l’Europe invite ses huit meilleurs architectes à construire en face de cette allée un urbanisme de tours. Parmi eux figure Lopez qui envoie Michel Holley à Berlin, chargé de construire la tour française. Il invente la façade aléatoire, destinée à différencier les tours les unes des autres : « il faut que les gens reconnaissent leur habitation, les enfants ne sauraient pas rentrer chez eux ! » s’exclame-t-il. A son retour en France, Bernard Lafay lui demande de répéter le modèle berlinois à Paris : il dessine alors le principe de dix tours qui voient le jour sur le périphérique nord de la capitale. C’est là qu’on invente ce qui était déjà la base du système de la dalle : des quartiers de tours qui se composent, et non qui s’alignent.
« On m’a donné Paris »
Influencé par les études d’art abstrait de son épouse, la révélation plastique et l’abstraction des formes, il invente un mode d’expression qui dessine les zones de tours avec les manières de les distribuer, de les rejoindre par les cheminements de piétons. Ce mode d’expression est la dalle, vouée à réunir toute la base de ces bâtiments différenciés au sol.
Charles de Gaulle arrive au pouvoir et le préfet de Paris convoque les deux architectes en leur demandant de concrétiser l’étude de principe qu’ils avaient effectué pour Paris. Michel Holley emploie trente architectes et les charge de faire une radiographie de la ville en leur affectant chacun un quartier. Ce relevé de Paris maison par maison est présenté et voté au conseil des ministres à Matignon. Certaines de ces rénovations étaient urgentes, c’était le cas des zones d’habitation du Front de Seine, de Belleville, de Place d’Italie.
Pour le Front de Seine, Michel Holley fait un croquis où la disposition des bâtiments n’est pas rigide mais poétique : il s’inspire d’un principe de composition musicale qui est le même que celui des notations de la musique médiévale. On trouve la même chose sur la dalle des Olympiades. Il y a, entre le rapport des volumes, un espace qui est du même ordre que l’espace musical. Le Front de Seine est un terrain inondable, il n’y a pas encore les barrages du haut de la Seine. Le principe est alors de construire une rue piétonne au-dessus de toute inondation : la base de la dalle est fonctionnelle.
Le concept de la dalle émerge de plusieurs constats effectués par Michel Holley. D’abord, la nécessité d’une rénovation sanitaire des logements français. Ensuite, le calcul qu’un logement correspond à 100m2 pour trois personnes tandis qu’un travailleur dans un bureau utilise 10 à 15m2 seulement. À Paris, on a donc besoin de trois fois plus d’habitations que de bureaux. Aussi, la surface d’habitation est plus agréable en haut, en dehors de la circulation. Le principal de la ville doit être centralisé près des logements : il conçoit des habitations, des écoles, des commerces et des services (préfectures, mairies…) qui se branchent sur une dalle surélevée. Ainsi, sa théorie de la dalle est la suivante : un espace de circulation qui ne gêne pas les riverains, un espace de travail bas, facile d’accès, des logements en hauteur pour concentrer la population et lui offrir un mode de vie ergonomique.
« Le quartier d’Olympiades est l’aboutissement de ma carrière »
On en arrive à la dalle d’Olympiades. Dans le plan de rénovation de la capitale, la ville de Paris attribue à Michel Holley la très grande zone dite Italie qui va de Place d’Italie à Porte d’Italie. Il est nommé urbaniste en chef de l’opération. Il fonde alors la plus grande agence d’architecte de Paris rue de Tolbiac avec plus de 150 collaborateurs. Il fait voter le plan d’ordonnancement d’Olympiades par les réglementaires de Paris : ce document administratif comporte une dalle qui laisse la circulation aux piétons et réunit les ensembles. On y construira des tours de 50 mètres de haut, d’autres plus petites, d’autres plus grandes. Michel Holley raconte qu’alors que Valéry Giscard d’Estaing était ministre de l’économie, il siégeait au pavillon de Flore. Il a vu monter les tours de la Défense qui lui ont caché le coucher de soleil : « il s’est vexé et ne voulait plus voir de tours ». Une fois Président, il ralentit la construction de l’urbanisme vertical : seules 26 tours ont été construites dans le secteur Italie sur les 50 prévues.
« J’ai réussi à réaliser une synthèse de ce qu’il y avait dans l’air. Je n’ai pas inventé l’urbanisme vertical, c’était une perception de l’évolution de l’architecture dans le monde, de la conscience sociale, des nécessités économiques… le métier d’architecte a ceci d’admirable : on est un réceptacle et un traducteur de tous les courants qui font la vie, toutes les virtualités d’une époque. Le tout est d’en tirer un ensemble cohérent, logique, personnel »
Michel Holley
Comment lui est venu l’idée du quartier d’Olympiades ? En 1965, le charbon est peu à peu interdit en France. La SNCF n’a plus l’usage de la Gare des Gobelins, gare de charbon située dans le treizième arrondissement. Michel Holley projette de concevoir au-dessus de cette gare désaffectée un quartier sur dalle. Il contacte alors le directeur des études de la SNCF qui adhère et fait voter le projet au conseil d’administration sur un principe de la cession des droits à bâtir, ceci à condition qu’on construise, sous l’ancienne gare, des entrepôts. Ils trouvent eux-mêmes la compagnie de Rothschild qui fonde une société de promotion chargée de l’exécution du plan : les entrepôts et la gare en dessous, puis un parking souterrain, et enfin la dalle, rue piétonnière de boutiques. Sur cette dalle, un ensemble bas de bâtiments : les HLM n’ont pas les moyens de financer des bâtiments plus hauts que seize étages alors que les immeubles privés peuvent être plus élevés dans les tours. Dans cet esprit d’industrialisation, Michel Holley fait breveter les tours : elles ont toutes la même structure, seules les façades diffèrent. Olympiades est pour l’architecte l’aboutissement, l’achèvement de sa carrière. Michel Holley n’est pas le pionnier de l’urbanisme vertical français mais il a largement contribué à son développement. La dalle des Olympiades est une synthèse de son œuvre architecturale, mais aussi son apogée.