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La procureure Maryvonne Caillibotte a 55 ans. Elle est procureure au tribunal de grande instance de Versailles depuis mars 2019, c’est la première femme à accéder à ce poste. Issue de la promo 1988, elle a suivi un circuit classique : détentrice d’une maitrise en droit, elle a passé le concours de la magistrature. Elle exerce ses fonctions de magistrat depuis son entrée en fonction en 1990 au parquet. Portrait de ce qu’elle désigne comme « le plus beau métier du monde ».
Le procureur est un magistrat, c’est le chef de juridiction qui, avec le président du même tribunal, est en charge de la juridiction sur le plan de la conduite de l’action publique. Il est à la tête d’une équipe plus ou moins importante. A Versailles, cette équipe est composée de trente magistrats : « j’ai autour de moi des substituts, des vices-procureurs, des procureurs adjoints… » explique Maryvonne Caillibotte. Elle supervise le traitement de tout ce qui est soumis à son appréciation en matière pénale : elle détermine les voies d’actions pour lutter contre la délinquance propre à son département – ici les Yvelines –, elle est en lien avec les services d’enquête, donne des instructions sur les modalités d’action et y apporte des réponses adaptées en matière de traitement pénal, du rappel à la loi jusqu’à la poursuite devant une cour d’assises.
La procureure de la République a également deux responsabilités moins connues. D’une part, elle a un rôle très important en matière d’exécution des peines une fois que les juridictions les ont prononcées. Elle travaille avec les juges d’application des peines : « une peine non exécutée n’a aucun intérêt » affirme-t-elle. D’autre part, elle s’occupe du secteur de l’enfance sur plusieurs plans : les mineurs délinquants en matière pénale, la protection de l’enfance en matière d’assistance éducative et l’état des personnes en matière civile. Effectivement, elle a en charge tout ce qui se passe autour de la filiation quels que soient ses modes : adoption, tutelle, régime matrimonial… En tant que représentante de la société et de l’ordre public, elle est sollicitée par le juge civil pour prendre des réquisitions et des positions sur certains sujets : « nous prenons des conclusions et apportons un éclairage non pas d’un parti privé mais public, rappelant ainsi les grandes valeurs dégagées par le législateur que nous devons porter » précise la procureure. « On peut être amené à faire évoluer la jurisprudence et prendre des positions novatrices » poursuit-elle.
Tout cela ne représente encore que le rôle interne du métier de procureur. Le tribunal de grande instance possède des partenariats avec les services d’enquête, mais aussi la préfecture, l’éducation nationale et le secteur hospitalier (prise en charge des victimes). Le procureur doit être présents aux côtés de ces élus locaux, très mobilisés sur leur territoire. Il est tenu de mettre en œuvre les circulaires du ministère de la Justice : « le Garde des Sceaux peut nous demander d’agir dans certains secteurs, en ce moment c’est particulièrement celui des violences intrafamiliales », dit-elle. Le procureur a un rôle d’animation important qu’il décline sur le plan local en fonction de ses disponibilités et de ses moyens. « Il faut retenir que le procureur n’existe pas tout seul, la caractéristique du parquet, c’est le collectif » insiste Madame la Procureure. Pour en savoir plus, elle recommande le documentaire Rendre la justice réalisé par Robert Salis sorti au cinéma le 13 novembre 2019. On y voit apparaître la procureure ainsi que des magistrats de sa génération faire un retour sur leur manière d’exercer leur métier. Il sera diffusé à Versailles le lundi 18 novembre à 20 heures.
« L’histoire particulière d’un département crée des contentieux propres à ce territoire »
Au sujet de la nature de la délinquance aujourd’hui : le département des Yvelines est caractérisé par deux choses. D’abord, c’est un département traversé : on y trouve beaucoup de voies de communication et de passage, le déplacement y est facile. De plus, c’est un département attractif qui contient une certaine richesse. La procureure de la République explique : « si on lie les deux, on fait l’objet d’une délinquance d’acquisition rapide qui s’en prend aux biens des personnes sur le département, des bandes qui viennent d’autres départements, voire d’autres pays, et qui, en une nuit, font des raids dans des résidences secondaires, parfois principales, et volent de grosses voitures ». Elle évoque également les villes dont certains quartiers sont particulièrement en difficulté : Chanteloup-les-Vignes, Mantes-la-Jolie, Sartrouville, Saint-Germain-en-Laye, Les Mureaux… Ces communes ont connu des mouvements de violence urbaine, on n’y trouve pas de criminalité organisée mais de la forte délinquance d’acquisition. Le département des Yvelines possède une histoire particulière : ces thématiques particulières créent des contentieux propres à ce territoire. Il est impossible de généraliser la nature de la délinquance à une échelle nationale : ce qui se passe à Paris ne ressemble pas à ce qui se passe à Lille, ni à Lyon, ni dans le sud. Les juridictions sont plus ou moins spécialisées, il y a un travail d’adaptation du procureur qui se fait à une échelle extrêmement locale.
Madame Caillibotte désigne le trafic de stupéfiants comme un sujet très présent, tous les jours, dans les affaires qu’elle traite. Elle rappelle que cela se note de manière très différente en fonction du département. En ce qui concerne les Yvelines, c’est plutôt un trafic local, dans les cités certes mais aussi n’importe où, cela peut même se faire près des écoles. Le trafic de stupéfiants se traite à une échelle relative : certains dossiers vont jusque chez le juge d’instruction car ils concernent de gros trafiquants, d’autres dossiers sont traités en une semaine et sont jugés dans la foulée. « Le trafic de stups, quel que soit son échelle, est très présent dans notre délinquance » conclue-t-elle.
« La justice française bénéficie d’une procédure pénale sophistiquée »
Selon la procureure de Versailles, la justice française permet d’agir mais la soumet elle et son équipe à des contrôles rigoureux et des délais qui peuvent parfois faire passer la procédure avant tout, même avant le fond : « quelques fois on se dit qu’on est dans la procédure pour la procédure » déclare-t-elle. La garantie et fierté démocratique réside dans le fait que le citoyen est protégé et a beaucoup de droits : la justice française peut s’en enorgueillir. « Il y a une grande place à la défense et à la victime dans le procès et cela ne va pas en diminuant, au contraire » continue-t-elle. C’est une justice qui, avec les moyens dont elle dispose – et ils ne sont pas très grands – est capable de s’adapter, d’inventer. Elle est plutôt pauvre mais elle fait fi de ces conditions matérielles. « Notre justice est composée de magistrats recrutés de manière diversifiée contrairement à ce que disent nos détracteurs, avec des formations classiques comme moi, ce sont des gens qui ont été avocats, directeurs, chefs de service… » garantit-elle. Cette justice dépeinte par Maryvonne Caillibotte n’est pas renfermée sur elle-même, elle est plutôt jeune.
« On aimerait faire plus, on aimerait faire mieux, avoir plus de moyens »
La procureure n’aime pas parler des faiblesses de la justice française, ce sont toujours celles-ci qui sont pointées du doigt. Elle dénonce notamment un sondage paru dans Le Parisien il y a quelques semaines selon lequel un français sur deux n’aurait plus confiance en la justice française. Elle affirme ensuite qu’en réalité, quand on regarde de plus près les gens sondés, la plupart n’ont jamais eu affaire à la justice française. Au contraire, ceux qui y ont eu affaires sont généralement satisfaits. Ce qu’elle aimerait, c’est avoir davantage de moyens pour ne plus dépendre des autres, particulièrement de la préfecture. Il ne manque pas tellement de magistrats, ce qui manque, c’est l’organisation des greffes qui travaillent à ses côtés et qui viennent travailler dans des régions où les conditions de logement sont difficiles et chères. Il manque d’équipes de soutiens, de chefs de cabinets, de chefs de projets, ces gens qui aident aux réunions et aux interventions, aux élus locaux… Cela commence à être développé : « il y a des assistants de justice, des juristes assistants, mais ce n’est pas encore assez organisé » regrette-t-elle.
Madame Caillibotte clôt son portrait ainsi : « C’est un métier de passion, d’engagement, il faut être en forme morale, mentale et physique. Il ne faut pas être aigri, il ne faut pas être usé et c’est pour moi le plus beau des métiers parce qu’il est à la croisée de tous les chemins susceptibles d’amener une personne dans un palais de justice, quelle que soit l’histoire qui lui arrive dans la vie. C’est un endroit extraordinaire de vie, de décision et donc de responsabilité. C’est quelque chose que j’aimerais beaucoup transmettre ».